Santé

Réflexions du Dr Jean-Philippe Catonné sur la santé publique et le rôle des mutuelles 


Publié le 17 novembre 2025

Docteur en philosophie et en médecine, psychiatre des hôpitaux et professeur de philosophie, Jean-Philippe Catonné est également président de la Société française de psychopathologie de l’expression et d’art-thérapie. Dans cet entretien, il partage son point de vue personnel sur la santé publique, la santé mentale et le rôle des mutuelles. Ses propos reflètent sa réflexion et son expérience.

J’établis une liaison indissociable entre le social et la santé. La dégradation du premier a pour conséquence une santé publique qui se dégrade. Selon Santé Publique France, un Français sur quatre serait déprimé : 25 % de la population ! Ce constat tient à des causes multiples : un déséquilibre du milieu naturel dû à une production intensive bicentenaire, une information anxiogène omniprésente sur la guerre de par le monde, y compris depuis trois ans en Europe. Parmi cette causalité, il faut aussi prendre en compte la régression sociale et économico-politique que nous traversons.

Socialement, les inégalités croissent. Un indicateur utile pour en juger : le seuil de pauvreté. Pour la France, je cite les chiffres de 2022, établis par l’INSEE : 9,1 millions de personnes se situaient au-dessous de ce seuil, soit 14,4 % de la population.

Économico-politiquement, je parle d’un déni démocratique qui soulève de l’indignation et de la colère, saine colère pour plus de justice, d’une large partie de la population. Elle se manifeste d’année en année en raison de la reconduite de la même politique. Je la retrace sur les trois dernières années.

  • En 2023, une réforme des retraites, passée en force (par 49-3), sans vote du Parlement, fait face pendant des mois à des millions d’opposants dans les rues sans être entendus.
  • En 2024, une dissolution précipitée de l’Assemblée nationale, suivie de peu par des élections législatives. Résultat : une coalition de gauche totalise le plus grand nombre de sièges, coalition à laquelle le Président de la République refuse de gouverner.
  • En 2025, le ministre Laurent Duplomb fait voter une loi réintroduisant un pesticide interdit en France depuis 2018, l’acétamipride (de la famille des néonicotinoides), contaminant les eaux et les sols, sans tenir compte d’une pétition d’opposants qui réunirent 2,1 millions de signatures. Vient ensuite une proposition de Budget qui a conduit au départ de son auteur, le Premier ministre François Bayrou. Son objectif : réduire un déficit de 40 milliards. Comment ? Faire porter la charge sur le monde du travail sans contribution supplémentaire des grandes fortunes, bénéficiant d’aides publiques sans contrepartie à la hauteur de 211 milliards. Autrement dit, reprise de la même politique, celle de 2023 à propos des retraites ; exiger des salariés deux années de travail de plus et exonérer le capital, au moment où les CAC 40 n’avaient jamais distribué autant de dividendes à leurs actionnaires.

Et pourtant, d’autres solutions s’avèrent capables de résoudre ce problème budgétaire. En voici une, comprenant deux volets. La première repose sur la proposition de l’économiste Gabriel Zucman, déjà votée à l’Assemblée nationale en première lecture. Elle consiste en une taxe de 2 % sur les plus riches du pays, 1800 foyers français, ceux possédant un patrimoine supérieur à 100 millions. Elle représente une recette de 20 milliards. Quant au deuxième volet, il réunirait les 20 milliards encore manquants. Comment ? Interdire aux entreprise réalisant des profits en France de les déclarer à l’étranger et ainsi d’établir leur déclaration dans le pays même de leur exploitation et leur gain. Je souligne que dans l’un et l’autre cas (taxe Zucman et déclaration obligatoire en France) relèvent de l’unique exigence de justice fiscale. J’ajoute qu’elle permettrait aux citoyens de constater que leurs gouvernants les auraient enfin entendus. Ces indispensables mesures, régies par le principe d’égalité entre citoyens, valent aussi pour ce qui suit.

La prévention reste encore trop marginale. Les politiques publiques se concentrent sur la réparation plutôt que sur l’anticipation. Il faudrait rétablir une justice sociale et économique qui constitue, selon moi, le premier levier de prévention en santé.

Les hôpitaux publics sont le pilier d’une société juste. Ils doivent retrouver leur vocation d’accueil et de proximité et ne plus être gérés comme des entreprises. C’est à travers eux que l’on peut recréer du lien et une égalité réelle d’accès aux soins.

La santé mentale concerne directement au moins 13 millions de personnes, soit environ 20 % de la population française. Un mal majeur la concerne : l’isolement. Un remède non moins majeur consiste à lutter contre la discrimination négative envers les personnes en grandes difficultés psychiques.

De nombreuses associations y concourent et doivent constamment renouveler leurs efforts. Leur chance de convaincre repose sur une unité militante entre professionnels, familles, personnes concernées et élus.

La loi du 11 février 2005 sur le handicap a constitué une avancée majeure, mais son application reste insuffisante. Les Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap (AESH), par exemple, exercent dans des conditions très précaires : salaires bas, absence de formation, statut incomplet. Leur travail exige pourtant une grande compétence et un engagement quasi héroïque.

La psychiatrie constitue le noyau dur de la santé mentale. Or, d’année en année, la situation se dégrade : augmentation de la demande, fermeture de plus de 80 CMP par an et montée d’une logique sécuritaire. En 1992, 40 000 personnes furent hospitalisées sans leur consentement ; elles sont 94 000 en 2025.

Le rapport 2024 du Contrôle général des lieux de privation de liberté, publié le 6 juillet 2025, dénonce l’insuffisance du personnel et la dégradation des conditions d’hébergement. Elle ne manque pas de précision : «  Dans 20 des 30 établissements de santé mentale visités, le nombre de psychiatres était inférieur aux objectifs prévus, les postes d’infirmiers non pourvus se comptent par dizaines ».

Elle en tire les conséquences carcérales, quand, à cette pénurie de moyens en personnel, s’ajoutent des conditions d’hospitalisation condamnables : « les mesures d’isolement et de contention sont fréquemment mises en œuvre dans des conditions inappropriées. Dans la plupart des cas, les chambres d’isolement ne sont pas respectueuses de la dignité des patients et ne répondent pas aux exigences de la loi ». Dominique Simonot se montre concrète : « manque de boutons d’appel, pas d’accès à l’air libre, impossibilité d’actionner la chasse d’eau des toilettes, absence de protection de l’intimité ». Ailleurs, elle écrit : « dans nombre d’établissements, des patients en soins libres demeurent pourtant enfermés ».

Ce n’est donc pas une militante d’ultra-gauche qui dénonce un irrespect de la liberté fondamentale d’aller et de venir, des pratiques psychiatriques en contradiction avec les droits fondamentaux. En définitive, la psychiatrie et plus généralement la santé mentale exigent des moyens humains pour une relation attentive. Cela nécessite du personnel suffisant et bien préparé.

La Sécurité sociale réduit sa couverture, transférant la charge sur les mutuelles et les adhérents. Je rappelle que la protection sociale française s’est construite dans l’esprit du Conseil National de la Résistance et grâce à Ambroise Croizat. Défendre ce modèle, c’est défendre la démocratie et l’égalité entre citoyens.

Les mutuelles doivent soutenir les initiatives qui relient santé et culture. La création artistique, notamment, peut être un formidable outil d’émancipation. Chaque année, j’organise un festival-théâtre réunissant des troupes de quartiers et des centres psychothérapiques ; j’aimerai y associer davantage la Mutuelle.

Les mutuelles, et en particulier la Mutuelle Complémentaire, gardent un esprit de solidarité et de résistance populaire. Je l’ai constaté lors de ses Assemblées Générales et lors d’événements comme la projection du film La Sociale, retraçant la naissance de la Sécurité sociale. Cet esprit doit perdurer pour défendre les travailleurs et l’égalité sociale

Créée par et pour les agents publics

  • Au service des agents publics depuis 75 ans
  • Pas d’actionnaire, gouvernée par des agents
  • Un tarif selon le salaire de l’adhérent
  • Acteur de l’économie sociale et solidaire